Annie Ernaux : peu de mots pour dire tant de choses…

C’est une écriture sans fioritures qu’on retrouve dans Le jeune homme, dernier roman d’Annie Ernaux. En effet, c’est avec un style déroutant et une voix unique qu’elle nous raconte sa liaison avec un jeune homme de 30 ans son cadet avec qui elle a vécu une histoire d’amour pendant les années 1990, juste avant d’écrire L’évènement, récemment adapté au cinéma par Audrey Diwan.

L’écriture comme besoin vital

« Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues ».

Tels sont les premiers mots, en épigraphe du jeune homme. Ces mots ne pouvaient pas sonner plus justes puisqu’Annie Ernaux concentre dans cette phrase toute la complexité de son rapport à l’écriture et tout ce qui fait la beauté et l’authenticité de son œuvre. Pour elle, c’est comme si les choses n’étaient pleinement vécues que lorsqu’elles étaient écrites.

De la même manière que dans Passion simple (Gallimard, 1996), Le jeune homme s’inscrit dans un rapport au temps proustien où Annie Ernaux se joue de la lassitude, de l’ennui et de ces moments d’attente qui habitent les passions les plus torrides de son existence. Ainsi, Le jeune homme résonne comme une sorte d’introspection et de méditation sur la vie, la passion et le passage du temps.

L’écriture pour être libre

Annie Ernaux voit en l’écriture un moyen de se libérer du regard des autres et des normes… C’est un combat de longue haleine qu’elle mène fermement contre toutes les injonctions sociales qui réduisent ses libertés et l’oppriment. Elle a toujours écrit les choses avec justesse, en faisant preuve d’un extrême détachement, conférant à ses écrits une portée sociologique et historique tant ils reflètent la réalité de notre société contemporaine.

L’œuvre d’Annie Ernaux est peuplée de réflexions sur les transfuges de classe et la question de la « place » qu’on occupe en société. Seulement, dans Le jeune homme, cette thématique est abordée différemment : le schéma de la domination économique et culturelle (Bourdieu, 1998) y est inversé en raison notamment de la grande différence d’âge et de statut social. Il est étudiant alors qu’elle est une écrivaine de renom. « Avec mon mari, autrefois, je me sentais une fille du peuple, avec lui, j’étais une bourge. » On voit au fil des pages comment Annie Ernaux prend conscience de sa propre évolution sociale, de la vieillesse, de son passé et de cet éternel commencement à chaque fois qu’elle vit une passion.

Elle nous décrit la manière dont est perçue la relation d’une femme avec un homme plus jeune, le jugement auquel elle fait face et toutes ces choses auxquelles le regard des autres la réduit parce qu’elle n’est pas dans la norme, qu’elle suit ses désirs et qu’elle a décidé d’être une femme libre.

L’écriture pour laisser une trace

L’écriture attribue une sorte d’immortalité à l’auteur. Elle permet de laisser une trace indélébile sur le papier, mais aussi dans la mémoire des lecteurs. Pour Annie Ernaux, l’écriture transcende le temps, la mémoire, l’amour et le désir. Elle part de son expérience personnelle et intime pour aboutir à l’universel.

La vie d’Annie Ernaux, ce sont des romans et ses romans sont la vie.

Le jeune homme, Annie Ernaux, Gallimard, 48 pages, 8 euros

A noter :

Annie Ernaux était présente au Festival de Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs pour présenter le documentaire Les Années Super 8, film documentaire largement inspiré de son vécu qu’elle a co-réalisé avec son fils.

Copyright Les Films Pelleas

Les Cahiers de l’Herne lui ont dédié un numéro riche en textes où l’on peut retrouver des lettres, des entretiens et des fragments de son journal intime.

INÈS BELLAHCENE

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s