Et si on se faisait une expo sur Instagram ? On a découvert le travail d’Uğur Gallenkuş et on vous invite à faire un tour avec nous à travers ses créations. Images composées, collages de photographies : ses tirages sont des puzzles mais avec des pièces qui ne vont pas ensemble. En assemblant un défilé de mode avec une file de migrants Rohingya fuyant la Birmanie ou encore un enfant tenant une guitare avec un autre tenant une arme, l’artiste fait éclater les injustices qui traversent notre village pas si global. Par la composition de nos quotidiens discordants, son art nous fait voir le monde en face – ses deux profils à la fois. (Bannière : © Uğur Gallenkuş)
Pour accompagner cette découverte, comme un écho, la chanson C’est cool de Gaël Faye.
J’ai mal aux autres moi – Abd Al Malik
Il y a ceux qui sèment et ceux qui récoltent, ceux qui vivent la guerre et la pauvreté et ceux qui demeurent dans le confort et la richesse. La surconsommation et la famine, les voyages sous les tropiques et les boats people, la Sillicon Valley et les bidonvilles. Ces réalités si éloignées, si hétérogènes et incompatibles se retrouvent face à face dans le travail de collage digital d’Uğur Gallenkuş. L’artiste confrontent des mondes irréconciliables en créant des images où se mêlent des expériences similaires et pourtant radicalement contraires.
Uğur Gallenkuş reprend des photographies de journalistes-reporters et les combine de telle manière qu’elles se fondent l’une dans l’autre, tout en se différenciant absolument. C’est là toute l’intensité de ces créations qui, en nous ramenant à des attitudes communes – être dans un bateau, marcher, tenir un objet, prendre son bain – nous montrent des quotidiens opposés. Elles sont d’autant plus détonnantes qu’elles sont mises côte à côte, en contraste. Un contraste amer, sanglant, criant d’injustice. Principalement sur des thèmes sociaux, elles mettent aussi en lumière des questions écologiques, économiques et culturelles. Ces images que l’on peut découvrir sur son compte Instagram sont accompagnées de descriptions factuelles qui rappellent le contexte des photographies ainsi que des statistiques quant à leur contenu. Impactants et informatifs, ces collages font surgir en nous indignation et prise de conscience, lucidité et émotion.
En écoutant en même temps les paroles de C’est cool de Gaël Faye, on entend une résonnance avec les images d’Uğur Gallenkuş qui fait apparaitre dans un monde déjà saturé d’images des réalités silencieuses sur nos écrans – et pourtant si criantes.
« Les souvenirs d’ma vie se mélangent à toutes ses images diffusées
Gaël Faye – C’est cool
Vivre hors champs d’la caméra c’est souvent ne pas exister
On nous gave d’images à satiété, de sexe, de fric et de faucheuse
Alors j’écris des textes comme un écho de nos vies silencieuses
Sur leurs écrans on est des bouts de pixels perdus dans la foule
Et nos vies s’écoulent, cool, pendant qu’le monde s’écroule »
Parallel universes of children
C’est le titre de l’album d’Uğur Gallenkuş édité le 20 novembre 2020 à l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant. Des univers où un enfant reste un enfant, où les mêmes attentes et les mêmes attitudes se déploient mais de manière parallèle : sans jamais se croiser, se rejoindre, se ressembler. L’album reprend les droits internationaux de l’enfant, définis par l’ONU en 1990 en les illustrant. Et la réalité colle rarement avec les exigences de la dignité de la vie de chaque enfant. Pour un enfant qui se développe « décemment », apparaît un enfant privé d’éducation, de soins, abîmé par la guerre et la pauvreté, victime du travail forcé. Le décalage est tranchant et le message clair. L’artiste publie son livre comme on tire une sonnette d’alarme, comme un appel lancé pour plus de justice et de solidarité. « Ce livre est dédié à tous les enfants du monde : pauvres ou riches, dans des pays développés ou non, éduqués ou non, affamés ou obèses, morts ou vivants. ».
Ce qui nous saute aux yeux, c’est que ce que l’on nomme « privilège » devrait être la norme d’une vie décente à laquelle tou.te.s ont droit et dont nous sommes tou.te.s responsables. Il ne s’agit de pas de nous culpabiliser, mais, par l’art, de regarder en face le monde dans lequel nous vivons. Et peut être a-t-on besoin sur nos réseaux miroirs qu’apparaissent ces images belles et brutales – ces photos de profil indispensables ?
Article rédigé par Elisabeth Coumel.