Fem Fest : projections et échanges queers à l’ENS de Lyon !

Le week-end du 14 au 16 octobre, nous nous sommes rendus au « Fem Fest », un festival accompagné du slogan « Les Gouines font leur cinéma », organisé par Les Salopettes, association féministe de l’ENS de Lyon, au théâtre Kantor.

Comme versant de la féminité, c’est la thématique de la sexualité lesbienne qui était mise à l’honneur lors de différentes projections suivies de débats, du vendredi au dimanche soir. Il s’agit du premier festival de films féministes de l’association, co-organisé par l’association Champ-Libre. Au programme : quatre films ou courts métrages cultes de la culture lesbienne, deux interventions de femmes activistes et/ou porteuses de la culture queer et de sa représentation dans les arts du ciné, des « talk » post-visionnage qui permettent d’échanger sur les impressions face au films et de relancer le débat sur les représentations des lesbiennes à l’écran, ainsi que l’impact qu’ont ces représentations sur le public lesbien et sa construction sociale, politique et culturelle.

La narration des amours modernes par Athina Gendry

Athina Gendry, étudiante de l’ENS, est venue nous présenter son court métrage réalisé dans le cadre de ses cours de cinéma. L’histoire tourne autour d’une jeune femme qui peine à trouver l’amour à cause de ses préjugés sur les sites de rencontre. Elle va pourtant tomber sur une adepte de Tinder lors d’un premier rencard. Nous n’avons pas du tout ressenti qu’il s’agissait de sa première production tant ce mini-film est, selon nous, bien pensé et remporte très facilement l’adhésion du spectateur. La réalisatrice explique, préliminairement au visionnage, qu’elle a eu l’idée de ce qu’elle « aurait aimé avoir quand elle avait 16 ans », un film léger « et doux », agréable à regarder mais avec un véritable message. Le scénario prend place dans notre Lyon, du palais de justice durant la première scène à un bar ouvert de nuit dans une des ruelles de la ville. On retrouve des manières de filmer surprenantes comme un travelling qui laisse penser que la protagoniste va arriver à rejoindre une dame qui attend à l’autre bout de la rue, or cette dernière est rejointe par son petit-ami, ce qui casse totalement l’espoir d’une rencontre amoureuse entre les deux femmes. L’usage des musiques alternant avec les silences traduit l’ambiance à la fois dramatique et malaisante qu’on peut ressentir lors des premiers dates.


lesbienale.art

Cette narration pose la question suivante : comment représente t-on cette vie de la lesbienne moderne, qui passe par les sites de rencontre, les dates réussis ou foireux, le désespoir de ne pas trouver l’amour quand l’âge, la routine professionnelle commence à gagner ? Athina explique que ce court-métrage part d’une expérience personnelle mais doit conduire sur des questions générales, car elle a « toujours ressenti un manque par rapport au manque de représentation lesbienne ». Le débat fut alors extrêmement riche grâce aux notions partagées par la réalisatrice, apprises lors de cours de féminisme et pensée politique à l’Ecole Normale : celle du regard masculin qui a longtemps dominé (et domine sans doute encore) le cinéma, qui consiste à donner une vision de la femme sexualisée, non objective, soumise au regard examinateur et curieux de l’ homme. Les personnages féminins apparaissent de par ce male-gaze, autrement dit vision hétéro-normative, comme des faire valoir du désir masculin. Cela se manifeste en tropes dans les films, c’est-à-dire des situations figées, des réflexes scénaristiques comme celui de concentrer l’image sur des parties vues comme érotiquement intéressantes chez la femme, avec une dynamique qui suivrait celle du regard de l’homme : filmer en commençant par les pieds vêtus de talons, puis aller jusqu’au buste et à la tête comme si on reluquait la femme filmée. Le regard lesbien recherché par Athina Gendry, au contraire, met au centre l’expérience que le spectateur queer est susceptible de rencontrer face aux images.


chéries-chéris.com

Assister à ce débat nous aura donc permis d’échanger sur un tas de concepts cinématographiques qui empêchent la femme d’être représentée telle qu’elle est, est particulièrement la femme queer : encore aujourd’hui, des séries ou films queer font un portrait de la lesbienne comme d’une femme hors-norme, fantasmée voire diabolisée : le recours systématique à la lesbienne vampire, la lesbienne qui brise un couple hétérosexuel mais qui finit tout de même seule, et nous en passons… Nous avons conclu ce bel échange par nos séries et films queers préférés, et nous fûmes ravis d’avoir pu contribuer à la discussion en apportant nos propres références.

Barbara Hammer ou la « pionnière » du cinéma lesbien ?

Nous avons également assisté à la projection de deux courts métrages de Barbara Hammer, cinéaste et figure tutélaire militante pour le lesbianisme. Son œuvre a profondément « marqué l’histoire du cinéma lesbien et expérimental ». La conférence est présentée par Laurine Labourier, étudiante passionnée par le sujet, qui déclare proposer une « modeste » discussion-projection qu’elle souhaite « douce, participative et un peu fouillis ».

Les deux œuvres de Barbara sont Dyketactis et Nitrate Kisses (1992), dans lequel la représentation lesbienne dans l’histoire est mise en lumière (celle de la Shoah, ou encore des années 1990, période compliquée sur le plan de la représentation sexuelle de par l’épidémie du SIDA). Les images sont en noir et blanc, accompagnées de citations percutantes sur fond noir, souvent d’ordre politique ou philosophique (par exemple : des propos tenus par Michel Foucault), ce qui montre qu’un fil conducteur militant est bien présent en filigrane. L’idée est de remettre Barbara Hammer et d’autres réalisatrices lesbiennes « au centre d’une histoire qui les a effacées » confie Laurine Labourier.

filmmakermagazine.com

Un festival représentatif et pédagogique

Nous conclurons ceci au sujet du festival : il nous aura enseigné un tas de choses. Premièrement, la représentation lesbienne existe sous des formes diverses et variées, parfois critiquables (car représenter ne veut pas forcément dire rendre service), certains réalisateurs choisissent de s’emparer du cinéma comme d’un outil d’engagement, de militantisme. C’est le visionnage de ces films, mais aussi et surtout l’échange qu’il suscite qui permet de produire une réflexion sur la thématique du lesbianisme. Nous avons particulièrement apprécié la bienveillance des encadrantes et intervenantes de l’association Les Salopettes. Celles-ci nous ont même proposé des goodies aux designs originaux (voir photo). L’asso est d’ailleurs ouverte aux nouveaux adhérents, pour ceux qui sont intéressés par la pensée féministe et ses représentations dans la culture, les arts et la société. Pour la plus grande joie du public lesbien lyonnais, un prochain festival devrait se tenir cette année par Les Salopettes, affaire à suivre…

Photo : Jessica Rouveirol

JESSICA ROUVEIROL

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