Cette année, la dixième édition du Prix du Roman des étudiants, organisée par Télérama et France Culture, couronne la scène littéraire avec une sélection de 5 romans, dont En salle de Claire Baglin : on l’a lu et on t’en parle !
Alors qu’on vit dans un monde de consommation dans lequel manger un burger accompagné d’un jouet incarne un rêve d’enfant, Claire Baglin déconstruit dans son premier roman En salle cette image du fast-food idéalisé. Pour cela, elle propose deux récits entremêlés qui s’alternent à chaque paragraphe : l’un où elle est enfant et observe son père ouvrier, l’autre où elle est jeune femme et travaille dans un fast-food.
Un récit d’enfance
Dans le premier, elle dévoile son quotidien d’enfant avec un parent conditionné par le travail. Toujours en alerte, ce n’est pas un père qu’elle décrit mais un chien de chasse, un être toujours sur les nerfs et jamais tout à fait apaisé ; un être objet qui même en vacances ne parvient pas à relâcher la pression :
« Quand il enlève ses chaussures pour marcher sur le sable et déplie une serviette pour s’asseoir, il fixe continuellement la mer comme si quelqu’un s’y noyait sans qu’il puisse intervenir. »
L’homme qui répond aux appellations de « papa » et « Jérôme » n’a en fait qu’un mot à la bouche : le travail, car après tout c’est la seule chose qui occupe ses pensées.
Les premiers pas dans le travail
Dans le deuxième récit, la narratrice adulte cette fois-ci met en lumière les coulisses de la restauration rapide sous son point de vue, c’est-à-dire celui d’une employée : non seulement la solitude et la tristesse dominent les sentiments du personnage, mais une colère partiellement dissimulée par des touches d’humour est perceptible ; cela pousse à la réflexion concernant ce modèle de restauration qui fait aujourd’hui partie intégrante de nos vies, mais à quel prix si cela contribue au sacrifice de milliers d’employés ?
« Certains me disent courage, ils savent que mes mains sont polies par le sel et que je ne pense plus depuis quelques heures mais je ne veux rien d’autre que rester là où je suis. Je n’espère plus le drive, accaparé par les anciens et ceux qui font des heures supplémentaires, je ne redoute que la salle et le vide qu’elle crée en moi. Aux frites, l’automatisme m’empêche de réfléchir. »
Et derrière tout cela ?
L’aliénation du travail, voilà ce que dénoncent ces deux récits parallèles : on fait de l’humain une machine au service de la production et de la consommation, le condamnant à vivre dans un environnement dénué d’humanité. Et c’est justement ce qui bouscule : le père et la fille baignant dans deux domaines professionnels différents, on comprend aisément qu’ils ne sont malheureusement pas des cas isolés… Claire Baglin brosse en réalité le portrait d’une classe populaire qui essaie tant bien que mal de gagner sa vie malgré un système qui la rabaisse et la méprise.

En bref, En salle est un premier roman étonnant et réussi : mêlant critique du système professionnel et humour, on se voit plongé.e dans les souvenirs d’enfance altérés par un père torturé et à la fois dans un fast-food aux allures d’usines. On entendrait presque le bip bip du minuteur des frites, et le brouhaha de la queue, les clients avec l’eau à la bouche qui s’impatientent, les manageurs derrière nous, les « mains outils » assemblant les feuilles de salade et ces cœurs, malgré tout, qui battent toujours aussi vite.
En salle de Claire Baglin, Éditions de Minuit, 160 pages, 16€
Claire Baglin sera présente à la librairie Décitre Bellecour (Lyon) le 29 octobre et à la librairie Pleine Lune (Tassin la Demi-Lune) le 8 novembre.
MANON VIALET