“Aucun homme ne choisit le mal pour le mal, il le confond seulement avec le bonheur, le bien qu’il cherche”– Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, 1918
Si je te dis Dark Vador, tu me dis “je suis ton père”, la main qui étrangle à distance, la respiration saccadée et la célèbre musique de la Marche Impériale. C’est l’un des symboles phares de la saga Star Wars et pourtant, ce n’est pas le grand méchant de l’histoire.
Après la lecture de Dark Vador – A feu et à sang de Björn-Olav Dozo et Dick Tomasovic (2021), j’ai pu me replonger dans cet univers qui avait envahi une bonne partie de mon adolescence et réalisé qu’il avait encore beaucoup à m’apprendre.

Dans la vie, rien n’est tout noir ou tout blanc, et si nous décidons de la rythmer ainsi, alors il est certain que nous foncerons droit dans le mur, comme Anakin, comme Vador. Les deux auteurs retracent la vie de ce seigneur Sith qui n’était au départ qu’un jeune esclave au caractère bien trempé et aspirant à une vie meilleure. Alors pourquoi être devenu cette espèce de monstre homme-machine qui use de la terreur pour affirmer sa toute-puissance ?
Si Anakin est devenu une bête inhumaine, c’est avant tout parce qu’il a pu être un humain. En fait, nous pouvons tous être des Dark Vador : nous aussi, nous oscillons entre ombre et lumière, entre ce que nous pensons bon et ce que nous savons mal. Alors comme lui, nous tentons de fuir la nuance pour éviter le compromis, contrôler ce qui nous entoure pour ne pas s’y perdre, refouler la souffrance pour effacer le doute. Nous créons une vie maîtrisable mais binaire, un “nouvel univers qui sera celui d’un damier où luttent sans passion mais avec obstination”.
L’aspiration au contrôle bien connue des Jedi l’imbriquera dans la frustration de ne pas pouvoir dire à Padmé ce qu’il ressent vraiment pour elle. C’est d’ailleurs cet amour impossible qui peut être considéré comme le point de bascule du Côté Obscur. Il se condamnera tout seul à la solitude et perdra finalement celle qu’il voulait à tout prix protéger, aveuglé par sa soif de pouvoir et son besoin de briller aux yeux de tous. Le pire dans tout ça, c’est qu’il restera convaincu de la justesse de ses actions, alors qu’en vérité, la radicalité de ses choix sera toujours la principale cause de sa souffrance.

C’est un mort-vivant, une boîte noire métallique avec ce qu’il reste d’un corps humain à l’intérieur. C’est un tombeau où le corps d’Anakin s’est laissé consumer par la noirceur de Vador. C’est un humain déshumanisé, qui a moins d’empathie qu’un C-3PO ou qu’un R2-D2. Comme le disent si bien Dozo et Tomasovic, “les casques de Star Wars sont bien souvent les masques de la honte”. Car si le masque dissimule les traits humains, il ne fait pas disparaître “les conflits internes” qui grossissent et s’enlisent en lui comme de la mauvaise herbe.
Pourtant, il sera capable d’une rédemption dans ses derniers instants, en choisissant Luke, son fils, plutôt que Sidious le Seigneur Sith, son maître. Sans excuser le massacre des Tuskens ou des apprentis Jedi, ce moment marquera l’acceptation de sa défaite, ou plutôt, son retour bref à l’humanité. En enlevant son masque pour voir son fils de ses propres yeux, il abandonnera la respiration artificielle qui le maintenait au côté des vivants. Celui qui pendant si longtemps avait immolé ses émotions et sa douleur revenait enfin à la vie, paradoxalement en acceptant la mort.
Vador nous montre que vivre sans peine n’est pas vraiment vivre mais bien agir comme une machine, qui ne sert ici qu’à servir Sidious. Se refuser de ressentir des émotions, même négatives, est finalement plus douloureux que d’accepter d’avoir mal, puisque cela ne fait que construire une forteresse où nous devenons notre propre bourreau. Heureusement, le feu s’accompagne du sang et Luke rétablira l’équilibre en permettant à Vador d’accéder à la paix, enfin.
Bien sûr que Dark Vador est un méchant, mais il n’est pas que ça.
Voyons, ne tombons pas du Côté Obscur…
Dark Vador – A feu et à sang, de Björn-Olav Dozo et Dick Tomasovic. Publié aux éditions Les Impressions Nouvelles, 144 pages, 12€. Lire un extrait.
CÉLIA CAROLA