Malcolm & Marie : le duel amoureux réussi de Sam Levinson

Cette année 2021, maintenant terminée, n’a rien à envier à la précédente. La crise pandémique a bouleversé la société en profondeur et la culture n’y a pas fait défaut, notamment le milieu du cinéma qui s’est vu brutalement balayé par l’indifférence générale des pouvoirs publics et la fermeture généralisée des salles aux grands écrans. Néanmoins, ces instants de silence, de parenthèses ont été pour de nombreux cinéastes un vivier créatif considérable. Certains réalisateurs ont su se saisir de la complexité de l’évènement et en ressortir des œuvres filmiques qui méritent d’être vues et considérées.

C’est le cas du film Malcom & Marie, production Netflix sortie sur la plateforme le 29 janvier 2021. Ecrit et réalisé durant le tout premier confinement, Malcom & Marie nous dévoile durant 1h46, les rouages de la relation amoureuse de deux cinéastes, Malcolm et Marie, qui va s’envenimer à la suite de la première projection du nouveau film de Malcolm plus tôt dans la soirée. Malcolm, euphorique, souhaite fêter cet évènement avec sa femme qui n’est pas tout à fait dans le même état d’esprit. Si la dispute peut paraitre assez anodine au départ, le réalisateur nous immisce, tout au long de son œuvre, dans une relation plus complexe que ne le laisse penser les apparences. Rancœur, jalousie, et histoires anciennes sont dépoussiérées tout au long du récit.

Copyright DOMINIC MILLER/NETFLIX

Le réalisateur en question, c’est Sam Levinson, notamment reconnu du grand public comme étant le créateur de la série Euphoria. C’est donc dans une forme de continuité que Sam Levinson offre à Zendaya, actrice principale de la série, le rôle de Marie, une femme au passé sombre tentant de se faire un nom d’actrice au sein de la machine du cinéma américain. Pour l’épauler, Sam Levinson choisit pour le rôle de Malcom, John David Washington, connu en tant que policier noir infiltré au sein du KKK dans le film BlacKkKlansman de Spike Lee ou encore comme la tête d’affiche du dernier Christopher Nolan dans Tenet. Malcolm y est un réalisateur noir victime d’une toute nouvelle notoriété dans le milieu. C’est donc un casting de renom qui s’offre à Sam Levinson pour débuter les hostilités amoureuses entre les deux personnages. Malgré le casting 5 étoiles qui porte le film, réaliser un huis-clos d’1h46 ne mettant en scène que deux personnages au sujet de leurs relations amoureuses paraissait être une tâche difficile à surmonter.

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Mais en dépit de cela, le film réalisé par Sam Levinson s’avère être unes des grandes réussites de l’année 2021 à travers une mise en scène simple, en noir et blanc, apportant un rare esthétisme au film et un scénario séquencé qui ne laisse jamais de repos au spectateur. D’un point de vue technique, le réalisateur est en pleine maitrise, arrivant à jouer avec les quelques seuls éléments que lui offrent le décor, notamment les miroirs et fenêtres à travers lesquels il retranscrit parfaitement les relations de pouvoirs entre les deux personnages. Les scènes ne sont jamais répétitives malgré l’unique décor du film, la maison du couple. Le réalisateur nous laisse quelques moments de répit en nous accordant des scènes d’errance dans le jardin immense du couple contrastant avec cette atmosphère d’angoisse pesant constamment sur la maison.

Comme l’indiquait déjà les noms du casting, Sam Levinson a la chance de pouvoir s’appuyer sur les exceptionnelles performances de Zendaya et J.D Washington, enchainant des scènes de fulgurances impressionnantes où les deux acteurs semblent se mettre en compétition à l’image des deux personnages qu’ils incarnent d’ailleurs. Car oui, il est sujet d’une dispute qui durera jusqu’au bout de la nuit, jouant sur les émotions du spectateur, oscillant entre le soulagement d’une discorde qui parait parfois trouver son terme et la plaie ne semblant jamais se cautériser au fil où l’on en apprend davantage sur la relation qui lie les deux cinéastes. L’angoisse d’un dérapage durant la confrontation se mêle à une violence verbale intense montant crescendo tout au long du film. Il est facile de s’identifier aux deux personnages dans un film qui crée un match interminable entre Malcolm et Marie. Ils ne cessent de se renvoyer la culpabilité, entre violence et pardon, relâchement des tensions et reprise du conflit suite à quelques mots maladroitement prononcés.

La ligne rouge n’est cependant jamais dépassée, à l’image de l’écriture de Sam Levinson qui fait graviter d’autres éléments narratifs autour de cette dispute amoureuse. Les deux protagonistes formant un couple de cinéastes, Sam Levinson joue sur cet aspect en apportant à son œuvre un véritable questionnement sur le racisme et le sexisme au sein de l’industrie cinématographique. Le réalisateur exprime à travers l’euphorie de ses personnages et notamment celle de Malcom, toute la répugnance qu’il éprouve à l’égard du milieu du show business hollywoodien, les journalistes tentant d’enfermer les créations dans des prénotions de genre et ethniques mais aussi l’omniprésence malsaine du message politique qui colle à la création et extrait toute forme de naïveté, de mystère et de poésie à la création filmique.

C’est donc un film de haute volée que nous offre Sam Levinson au début de l’année 2021, tout en harmonie avec les conditions et les contradictions de son époque.

RUBEN MAYTRAUD