« (…) des voix, des fictions qui appellent la parole et le corps. »

C’est ainsi que Sabine Chevallier, directrice éditoriale des éditions Espaces 34, définit les deux premiers textes de la nouvelle collection de la maison d’édition, « Hors cadre ». Les Chants anonymes de Philippe Malone et Un sentiment de vie de Claudine Galea, publiés en mai dernier, ont inauguré une collection qui promet son lot de pépites textuelles. (bannière : © Lucile Sauverzac)

You did it your way
Comment écrire sur son père, sur l’absence, sur la mort et sur ce « foutu sentiment de vie » qui persiste toujours quelque part en dépit de tout ? Comment écrire, tout court ? La réponse de Claudine Galea dans Un sentiment de vie serait celle-ci : en investissant des textes écrits par d’autres de la même manière que l’on enfilerait « un vêtement emprunté à un autre dans lequel on se sent bien ». L’autrice se glisse donc dans les vêtements de Falk Richter, Georg Büchner ou encore Ingeborg Bachmann et emprunte leurs mots en les transformant pour les faire siens.

My Way, de Sinatra, passe en boucle dans une voiture, comme une scie qui vient à la fois séparer et réunir un père et son enfant – le « je » de l’autrice suppose-t-on –, affirmer l’existence d’un fossé générationnel et idéologique, et tendre un pont de cordes, instable et fragile, d’un bout à l’autre de ce fossé. Cette relation faite de non-dits, de « je t’aime » coincés en travers de la gorge, de désaccords profonds, est déchirante ; toutefois elle porte la trace de ce « sentiment de vie » qui en fait toute la beauté.

En lisant Un sentiment de vie, on est saisi.e par une pudeur qui crie, un cri porté par toutes les voix qui accompagnent et soulèvent celle du « je » qui s’exprime. C’est au tour des lecteurices/spectateurices/auditeurices maintenant d’investir ces voix pour hurler leurs propres douleurs.

© Éditions Espaces 34

Dernière bande
On dit souvent que les mort.e.s parlent. Cela est vrai dans Les Chants anonymes de Philippe Malone : avant d’être définitivement dissou.te.s dans les fonds marins, iels nous ont laissé un message. Un message que l’on discerne d’abord très mal : il faut plisser les yeux pour voir les caractères, tendre l’oreille pour discerner les mots qui remontent lentement vers la surface. Iels nous parlent, donc, depuis les profondeurs de la mer dans laquelle leurs embarcations de fortune ont sombré.

On entend leur voix qui se mêle à celle d’une « Anonyme », en équilibre instable sur le seuil entre une Europe colonialiste en ruines, et un Proche-Orient en ruines ; à celle des passeurs qui capitalisent sur la détresse ; à celle d’administrations qui classifient, organisent la détresse, la traitent comme une donnée comptable. Ces voix se mêlent pour nous, s’entrechoquent sur la page et dans nos têtes, mais elles n’interagissent presque pas ; elles ne s’entendent pas.

Plongé.e.s dans un dialogue de sourds, à nous de ne pas le devenir. Écoutons les mort.e.s parler. Iels nous disent : « Enregistrez, nous
sombrons. »

Les Chants anonymes est texte lauréat de l’édition 2021 des Journées de Lyon des auteurs de théâtre. Il sera présenté sous forme de lecture mise en espace en septembre 2021 au Théâtre Nouvelle Génération (Les Ateliers – Presqu’île).

© Éditions Espaces 34

Article écrit par Alice Boucherie

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