Même si, comme nous, vous n’êtes pas adeptes des programmes télévisés, vous n’avez sans doute pas pu passer à côté de la série En thérapie diffusée sur Arte. Cette série de 35 épisodes de 20 minutes, adaptation française de la série israélienne BeTipul, rencontre un succès étonnant depuis le début de ce mois de février. Quatre rédacteur.ice.s vous donnent leur avis. (Bannière : En thérapie © Les Films du poisson / Arte)
Pierre :
N’étant pas un adepte de binge-watching, je me suis néanmoins laissé assez facilement emporter par ce programme proposé par Arte. Mais ce rythme de visionnage effréné (parfois compulsif) d’En thérapie m’a pourtant semblé plus que justifié de par les qualités nombreuses de la série. De la construction du récit à la mise en scène, tout prête à la simplicité la plus pure et c’est certainement ce qui fait sa force. Ce sont des gens qui parlent dans une pièce. Un épisode, une séance ; cinq épisodes, une semaine. Avec « seulement » ça, les auteur.ice.s ont réussi à proposer une œuvre touchante et subtile. Probablement aucun.e scénariste ne pourrait rêver meilleur contexte que celui d’une séance chez un psychanalyste pour développer de la sorte une ribambelle de personnages et les montrer dans leurs contradictions, leurs conflits intérieurs comme extérieurs, de leurs problèmes familiaux à leur résistance face à leur thérapie. Comme il est dit dans la série, « quand on vient consulter c’est qu’on a quelque chose à dire et quelque chose qu’on ne veut pas dire » : dès lors tout l’intérêt des épisodes réside dans cette manière de dérouler le fil de la pensée de ces protagonistes, tous venus avec un prétexte sans toujours savoir ce qu’ils sont venus dénouer.
En cela, l’utilisation de la musique (réalisée par l’excellent Yuksek) est tout aussi remarquable car elle ne survient que par touches discrètes et légères lorsque justement les personnes parviennent à se saisir du problème qui les rongent. Jamais pesante, elle laisse une grande place au silence et s’inscrit aussi dans cette démarche d’extrême simplicité. Il y a une certaine musicalité dans les paroles aussi. Les textes à l’évidence très écrits sont parfaitement délivrés par des comédiens qui parviennent à donner du souffle à leurs répliques et les faire sonner de façon naturelle, et juste, surtout. Même constat pour la réalisation où sont filmées de longues scènes de dialogues qui n’auraient à priori rien d’excitant à offrir visuellement mais desquelles se dégage une grande puissance émotionnelle, obtenue presque uniquement par le croisement des regards.
Et comme la musique, par touches discrètes, la mise en scène transgresse parfois certaines règles comme celle de ne jamais franchir avec la caméra la ligne imaginaire tirée entre deux personnages qui se font face (en termes techniques, on parle de la règle des 180 degrés). Car en effet, au fil des trente-cinq épisodes de cette saison, notre regard sur les personnages évolue, les rapports ne sont plus les mêmes, ils changent, parfois pour le mieux. C’est aussi ça qui m’a attiré vers la série : suivre des gens qui s’acharnent à vivre et qui essayent d’aller mieux, tout simplement.

Lucile :
En Thérapie est une série que l’on dévore du début jusqu’à la fin, du premier au trente-cinquième épisode. Durant une vingtaine de minutes, nous vivons nous aussi la thérapie du personnage. Nous nous attachons à ces différentes personnes mais surtout à ces différentes personnalités. Nous sommes sensibles, nous suivons avec concentration la suite des épisodes, les étapes de la thérapie de chacun.e, leurs histoires et surtout leurs souvenirs.
Une série prenante qui nous fait aussi réfléchir sur notre façon de gérer nos émotions et le lâcher-prise : pourquoi cachons-nous souvent nos émotions ? Une façon, aussi, de montrer que chaque personne est unique, chaque personne vit un deuil, un traumatisme, un élément perturbateur de nos vies, de façon différente. Longtemps, les problèmes psychiques et psychologiques ont été quelque chose de tabou dans notre société, il ne fallait pas trop dire ou montrer que nous allions voir un psychologue (et encore moins un psychanalyste ou un psychiatre). Mais d’une certaine manière, En Thérapie déconstruit peu à peu cela avec une qualité scénaristique immense, des récits poignants qui s’entremêlent et surtout un jeu d’acteurs.ices fantastique.
Il serait donc compliqué de ne pas vous conseiller cette série, foncez, si ce n’est pas déjà fait.

Thomas :
J’ai suivi le mouvement que suscitait la série sur mon entourage. Dès que j’ai vu la notif’ apparaître sur la chaîne YouTube d’Arte, j’ai sauté sur l’occasion. Pour celle-ci, j’ai décidé de suivre les premiers épisodes intégralement… en audio. Il faut dire que la série est très minimaliste : l’action se trouve dans l’écriture des dialogues entre l’analyste (le docteur Philippe Dayan) et les analysant.e.s qui viennent le voir individuellement (ou en couple) un jour par semaine. Avoir seulement le son me donnait la liberté d’imaginer les personnages et les lieux. C’est une aventure immobile où les personnages et les spectateur.ice.s avancent tout doucement sur le fil des souvenirs.
De fil en aiguille, d’un souvenir à l’autre, l’intimité des personnages se dévoile… non sans heurt : l’agressivité, le mépris, l’attitude à la défensive que les analysant.e.s peuvent avoir à l’égard de leur médecin créent chez nous, spectateur.ice.s ou auditeur.ice.s, un sentiment de malaise. Même quand le dialogue progresse plus vite et l’intimité des personnages devient plus nette, le sentiment de malaise demeure. Il trouve son point d’acmé lorsque nous touchons enfin la terrible vérité à travers les paroles fumées des analysant.e.s. Or, c’est justement cette tension qui nous pousse à continuer la série : nous aimons la progression, surtout quand celle-ci n’est pas aisée. Ainsi, c’est une série subtile parce qu’elle prend son temps. Nous pouvons aussi admirer la performance des différent.e.s acteur.ice.s, mais aussi lui reconnaître une ponctualité étonnante dans sa diffusion. Cinq ans après le drame du 13 novembre, je ne peux m’empêcher de tisser un lien avec notre situation actuelle tout aussi traumatisante. Chacun de nous continue de vivre sa vie malgré les traumatismes et cela sans s’apercevoir à quel point ces derniers l’ont changée en profondeur…

Manon :
La série israélienne BeTipul, créée par Hagai Levi, qui avait déjà été adaptatée dans de nombreux pays (l’adaptation américaine In Treatment sur HBO s’est même déclinée sur trois saisons), se voit de nouveau réinterprétée cette année, à la sauce française cette fois-ci. Derrière le projet, l’emblématique duo Éric Toledano et Olivier Nakache (Intouchables, Le Sens de la fête, Hors normes…). Le casting, lui aussi, fait envie. Dans le rôle du psychanalyste, on retrouve Frédéric Pierrot, parfait dans son rôle de mâle cinquantenaire blanc hétérosexuel qui semble tout à coup prendre conscience de ses privilèges face à un monde qui s’écroule autour de lui. Loin d’être présenté comme le saint héros sympathique par excellence, le « sauveur » que les patients viennent chercher à travers leur thérapie, le docteur Dayan est au contraire pleins de contradictions, écartelé entre sa femme avec qui la communication est brisée, et sa troublante jeune patiente Ariane (l’excellente Mélanie Thierry), qui opère un transfert amoureux sur lui. Car ce n’est pas parce qu’on est psychanalyste qu’on ne souffre pas. On retrouve aussi Reda Kateb dans le rôle d’Adel Chibane, policier de la BRI, Clémence Poésy et Pio Marmaï jouant un couple déchiré par la névrose de chacun, et Carole Bouquet, amie et contrôleuse psychanalyste de Philippe. Mention spéciale pour la jeune Céleste Brunnquell, sublime dans le rôle de Camille, jeune adolescente dont la souffrance, le mal-être et la cupablité semble brutalement résonner en chacun de nous. Tous partagent un présent traumatique, à une échelle plus ou moins grande : les attentats du 13 novembre 2015.
Ce qu’il y a à la fois d’intéressant et de surprenant dans En thérapie, à l’heure des mini-séries Netflix ultra-dynamiques, de quelques 8 ou 9 épisodes de 45 minutes, c’est la façon dont elle prend son temps. Si le format court des épisodes (entre 20 et 30 minutes) pousserait presque encore plus au binge watching (on ne va pas se mentir, on s’est souvent enchaîné quatre, cinq épisodes à la suite), le rythme relativement lent et le format « un épisode une séance » dilate le temps et permet de créer un espace presque reposant, réconfortant, dans lequel on prend plaisir à s’installer, en même temps que les patient.e.s s’installe sur le sofa. À l’action est préféré le dialogue (divinement bien écrit d’ailleurs), le sinueux dialogue entre un psychanalyste et son analysant, mais aussi et surtout le dialogue intérieur, celui du passé sur le présent.
Avec En Thérapie, on prend enfin le temps : le temps de parler, le temps d’écouter, le temps de se comprendre et de comprendre l’autre. On prend le temps de respirer, d’accueillir la souffrance et de l’observer, au lieu de sans cesse tenter de la recouvrir par un quotidien qui déborde. Avec En Thérapie, le trop est laissé sur le pas de la porte, pour ne laisser la place qu’à l’essentiel, au brut, autrement dit, à son être dans tout ce qu’il a de plus vulnérable. Si chaque histoire est différente, il y a en chacun des personnages de cette série un petit peu de nous, et c’est peut-être pour cela que la série rencontre un tel succès aujourd’hui.
Retrouvez la série En Thérapie tous les jeudis soirs à 20h55 sur Arte, mais aussi en intégralité sur le site arte.tv ou sur la chaîne YouTube d’Arte Séries.
Article rédigé par Pierre Chatut, Lucile Sauverzac, Thomas Raimbault et Manon Ruffel.