Non-critique sur un spectacle non-vu : ça marchera jamais !

Mardi 15 décembre, jour de la réouverture des théâtres, je serais allée voir Ça marchera jamais de la Compagnie lyonnaise Les Transformateurs aux Théâtre des Célestins. Mais il faut croire que les politiques en ont décidé autrement puisque mardi, j’étais chez moi en train d’écrire la non-critique d’un spectacle non-vu. Un spectacle qui proposait une variation sur l’échec, l’occasion de penser nos défaites. Là voici. (Bannière : © Yoann Tivoli)

Dans ce spectacle, récompensé en 2019 par le prix spécial Celest’1, les artistes ont cherché par des improvisations et à partir de poèmes ou textes courts à investir l’échec. Ses causes, ses conséquences, les questions qu’il provoque. Il s’agissait de proposer aux spectateur.ice.s de penser – et peut-être panser, qui sait ? – nos défaites, nos réussites, nos doutes, nos craintes à nous tous.tes. J’avais choisi ce spectacle pour l’expérimentation qu’il promettait, pour cette recherche scénique, artistique, émotionnelle, réflexive sur l’échec. Le metteur en scène, Nicolas Ramond, relève les questions suivantes qui ont surgi avec le spectacle : « Qui ne s’est jamais pris une veste, un râteau, un four ? D’où vient l’échec ? Connaissez-vous quelqu’un qui gagne toujours ? Quel est votre plus bel échec ? Quelle est la réussite dont vous êtes le moins fier.e ? Êtes-vous prêt.e à gagner à n’importe quel prix ? Si personne ne le sait, est-ce une réussite ? Si personne ne l’a vu, est-ce un échec ? Vous avez toujours mérité ce qui vous arrive ? Un échec peut-il en cacher un autre ? Après combien d’échecs avez-vous réussi ? En saut à la perche celui.celle qui échoue le plus haut est-il.elle le.la meilleur.e ? ». Autant d’interrogations qui résonnent en moi et que j’aurais aimé entendre résonner – ou faut-il dire raisonner ? – sur la scène d’un théâtre, en musiques, en images, en corps… Qu’aurais-je découvert de mes propres failles ? Qu’est-ce que ce spectacle aurait fait de moi ? Quel chemin aurait-il pris ? Quelle route aurais-je bien pu faire avec lui ? Autant de points d’interrogation en suspens, suspendus à l’interdiction d’ouvrir ces espaces où tant de questions attendent impatiemment de se
déployer !

Ça marchera jamais, Cie Les Transformateurs © Yoann Tivoli

C’est étonnant la manière dont on choisit d’aller voir telle ou telle pièce : le thème, les acteur.ice.s, le théâtre, les critiques ou encore quelque chose de plus profond, de plus sourd et de plus irrésistible qui nous attire. Ne pouvant pas aller ni au théâtre en général, ni à ce spectacle en particulier, je me questionne sur ce qui motive nos choix. Peut-être qu’à chaque expérience artistique nous attendons, sans le dire vraiment, qu’elle change notre vie au moins un peu. Et alors quand nous sortons déçu.e.s, c’est bien que quelque chose a raté, qu’on attendait ce petit truc en plus qui nous fait basculer – aujourd’hui j’ai même envie de dire : qui nous
fait basculer du côté des vivant.e.s. Quand je sors du théâtre, je veux en sortir différente, un peu changée, un peu déplacée, bouleversée, décentrée. J’ai besoin d’être divertie : j’ai besoin d’une diversion pour m’échapper, me réinventer, rêver, être (é)mue vers une autre parcelle de la vie, du monde, de moi-même. Le théâtre, et les arts, sont ces espaces où nous nous aventurons par goût de l’inconnu, par besoin de vivre vraiment, par nécessité tout simplement. Et dire que de tels endroits restent fermés !

Ça marchera jamais, Cie Les Transformateurs © Yoann Tivoli

« Je veux raconter la souffrance de l’échec.

Je veux raconter le sentiment d’être un raté.

Je veux raconter la solitude face à l’échec.

Je veux raconter l’impression de couler, de ne plus arriver à se maintenir à la surface de l’eau.

Je veux raconter le regard des autres.

Je veux raconter l’envie de disparaître.

Je veux raconter la fragilité.

Je veux raconter la panique.

Je veux raconter la peur.

Je veux raconter tout cela avec des mots, des images, du mouvement, de la lumière, de la musique. Je

veux raconter ce que je ne sais pas encore. »

Nicolas Ramond, metteur en scène de Ça marchera jamais

Quand je lis ce genre de note d’intention, évidemment, j’ai très envie d’être là, tout près, juste en face de ceux.celles qui racontent ce que je ne sais pas encore. Et quand je dis je, je pense nous : nous, qui du matin au soir devons être performant.e.s, au top de la productivité, irréprochables, et qui avons bien besoin de ces soupapes de décompression que sont les théâtres, les cinémas, les salles de concert… Bien sûr, nous compensons avec du bon son à la maison, des séries et des films chouettes dans notre canapé, de doux livres dans le métro, mais aucune enceinte ne remplace un concert et aucun écran ne remplace un cinéma ou un spectacle. Les arts, dans le lieu et le temps qu’ils occupent, sont irremplaçables. Ce qui n’est pas créé manquera. Ce qui est passé est perdu. Ce qui est donné et reçu ne peut être retiré. Ce qui est vécu l’est pour toujours, ce qui ne l’est pas aussi.

Alors voici ma non-critique :
Ça marchera jamais un spectacle sans spectacteur.ice.
Ça marchera jamais un plateau sans acteur.ice.
Ça marchera jamais une pièce sur l’échec qui échoue.
Non, ça marchera jamais.

Article rédigé par Elisabeth Coumel.

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