Pour ce premier article en partenariat avec le FireFlies Studio, nos deux rédactions sont allées voir Un divan à Tunis, un film réalisé par Manele Labidi et sorti en salles le 12 février 2020. Qu’en ont pensé les deux rédacteur·rice·s ? (Bannière Un divan à Tunis © Diaphana Distribution)

Rencontres en surface
Une psychanalyste, Selma, interprétée par Golshifteh Farahani, quitte la France pour installer son cabinet sur le toit de la maison de son oncle et de sa tante dans une banlieue de Tunis. Elle laisse derrière elle le pays dans lequel elle a grandi depuis ses dix ans, ses habitudes, ses codes, pour retrouver son pays d’origine, duquel elle ne sait plus rien, hormis la langue. Elle se retrouve alors à plusieurs reprises dans des quiproquos nés d’une incompréhension mutuelle entre elle et les habitants. Le film se veut le récit d’une quête et d’une conquête de sa place dans une société où la parole est partout, mais où elle est tout sauf thérapeutique. Mais ce récit semble assez superficiel, ou du moins il ne va pas aussi loin que l’on n’aurait pu l’espérer. Et certains épisodes de cette quête semblent un peu clichés. Faut-il vraiment négocier, marchander et mettre devant le fait accompli pour que sa présence soit finalement acceptée ? Faut-il offrir des gâteaux à la secrétaire du Ministère de la Santé pour que son dossier soit étudié ? Les situations ainsi créées peuvent prêter seulement à sourire, et souvent à moitié.
Le parcours de Selma est semé d’embûches qui se défont petit à petit par les rencontres et les liens qu’elle parvient finalement à tisser avec les gens. Mais c’est lorsque la situation semble bloquée, lorsqu’elle tombe en panne, littéralement d’ailleurs, qu’elle fait une rencontre aussi énigmatique que décisive, mais qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, il faut bien l’avouer. Sous la chaleur écrasante, un mirage apparaît. Un petit vieux étrangement anachronique débarque avec sa berline noire aux vitres teintées. Tout droit sorti du cadre ornant le cabinet de Selma, Freud a pris chair, mais dans cette transformation a été oublié le Verbe. Leçon de conduite psychanalytique, Selma craque dans l’habitacle et se met, à son tour, à parler.

Ouverture ?
Cette parole thérapeutique semble être ce dont les habitants de cette banlieue de Tunis ont besoin. L’ouverture du cabinet de Selma ouvre grand les vannes, et les confidences se mettent à couler à flots. Hichem Yacoubi rend le personnage de Raouf, le boulanger, à la fois assez touchant mais aussi très (trop) envahissant. Si on voit le personnage se libérer de ses angoisses et apaiser sa relation à lui-même par la parole, le faire apparaître au hammam dans un maillot de bain à grosses fleurs, sous les réactions outrées des clientes, est peut-être un peu « gros », ou un peu facile.
Pourtant Manele Labidi a lancé quelques pistes qui auraient pu donner à son film une profondeur et un aspect critique considérables. La plus notable d’entre elles apparaît au moment où Selma se rend chez son grand-père malade pour lui demander s’il a un contact au Ministère de la Santé. Le vieil homme presque mourant lui tend un portrait de Ben Ali, le président tunisien en place depuis la fin des années 1980 qui a quitté le pouvoir suite à la révolution de 2010-2011. Ce vieil homme est un système qui se meurt peu à peu, et Selma essaie d’y substituer un autre système fondé sur une libération de la parole. Or ce système vient d’Europe, alors quand on y pense un peu, sa démarche est limite colonialiste, finalement. Du moins, elle ne semble pas de très bon aloi. Pourtant, si les résidus d’un ancien état de la société étaient davantage montrés, la tentative de changement de paradigme social par la libération de la parole aurait très certainement gagné en justesse, mais aussi en justification. Parce que finalement, on ne comprend pas très bien ce que Selma fait à Tunis.

On ne peut pas dire que l’on passe un moment désagréable en regardant Un divan à Tunis. En revanche, on ne peut pas non plus dire qu’on a beaucoup aimé ce film. En fait, il laisse sur la langue un petit goût amer, au carrefour de la déception et d’une sorte de neutralité toujours un peu angoissante, surtout si l’on doit ou veut donner son avis. C’est bien dommage.
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Article rédigé par Alice Boucherie et Benjamin Armand.