Nous les avions découverts l’année dernière dans le déjanté Ultra Girl contre Schopenhauer, L’Envolée Culturelle a eu la chance de rencontrer cette semaine la Cie de Onze à Trois heures, David Bescond, Sahra Daugreilh, Laure Giappiconi et Cédric Roulliat pour discuter de leur nouvelle création, Josie Harcœur, qui est présentée au Théâtre des Célestins jusqu’au 21 février. (Bannière : © Cédric Rouillat)

- Pouvez-vous nous parler de votre parcours et vous présenter ?
Cédric : Alors, déjà, deux d’entre nous viennent de l’ENSATT, de la Scène sur Saône (deux écoles de théâtre, ndlr), donc on a des racines lyonnaises pour les études, pour la provenance. Pour ma part, je suis lyonnais. Je suis photographe et metteur en scène..
Laure : Tous les trois avons travaillé comme modèles pour Cédric, à la base, qui est aussi photographe. C’est comme ça que l’on s’est connus. Puis nous avons commencé à travailler ensemble au théâtre.
- Ce que l’on sait de Josie Harcoeur, c’est ce qu’on en lit sur le programme des Célestins. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur ce dont parle le spectacle ?
Cédric : Ce sont plutôt des thèmes qui ont donné naissance à la pièce. Et ces thèmes, ce sont le souvenir, l’identification, la culture populaire, l’âge, le temps. C’est une pièce sur le temps, sur l’écoulement du temps et les différentes échelles temporelles puisqu’on fait des aller-retours entre le passé et le présent, et vers le futur également. Quand on démarre un projet, on a des images, on a des thèmes mais il y a une part d’instinct aussi. En fait, mon mode de travail fonctionnait ainsi : je faisais une première mouture du texte, on en parlait à la table tous les quatre, on ajoutait des tas de choses et puis deux, trois mois plus tard, on avait une autre mouture. Et puis en parallèle avec Laurent Péju, le compositeur, on a commencé très tôt à faire des recherches sur l’univers de la variété française ; on est partis dans toutes les directions avant de se recentrer dernièrement sur deux axes pour la musique. Le texte influençait la composition, et parfois c’était l’inverse. Tout s’est imbriqué. On a travaillé par strates en fait. Chacun a mélangé son sang, son ADN.

- Un peu comme pour votre première pièce, Ultra Girl contre Schopenhauer [ndlr : sa première mise en scène, présentée en 2019] ?
Cédric : Exactement, c’est le même processus.
Sahra : Ça a pris plus de temps pour l’écriture, on arrive à une mouture finale d’écriture là, maintenant. Alors que pour Ultra Girl, on faisait juste quelques ajustements à ce moment-là de la création.
Laure : En fait, dans Ultra Girl, on ne suivait qu’un personnage. Il y avait Edwige et son double fantasmé, et une figure. Là, il y a vraiment trois personnages donc c’est beaucoup plus compliqué à tisser, narrativement, dramaturgiquement, à tous les niveaux.
Cédric : Je pense aussi qu’il y a la volonté de ne pas se répéter. On aurait pu rester sur la structure d’Ultra Girl… . Maintenant, avec le recul, on se rend compte que le spectacle allait dans tous les sens. En fait, elle est assez simple, cette structure : c’est un aller-retour avec des embardées. Avec Josie Harcoeur, on a vraiment exploré des pistes narratives très diverses, des genres, des procédés qu’on a testés. On en a gardé certains, on en a abandonné d’autres. On a eu ce luxe-là parce qu’on a eu beaucoup de temps de préparation. On a testé tout ça.
- Qui est Josie Harcœur ? Qu’est-ce qu’elle incarne, puisque vous parlez d’incarnation surtout, enfin, de modèle ? Ou alors, c’est la surprise du spectacle…
Cédric : Alors, il y avait une page Wikipédia mais elle a été effacée par un vandale donc nous, on va vous retranscrire les infos qu’on a, c’est-à-dire qu’elle a eu sa carrière dans les années 70 principalement, et qu’elle a, avec son impresaria, Yvonne Brodsky, tenté de faire une sororité de la variété française avant… son suicide. Elle s’est donné la mort en 1982. Pour ce qu’elle représente, c’est un amalgame de toutes les figures d’identification sur lesquelles on peut se forger, enfin, avec lesquelles on se construit ado, et puis ce qu’il y a d’universel et d’individuel à cette personne. Enfin, au départ, c’était un livre vierge presque. C’était un archétype en fait.
Sahra : On n’arrêtait pas de se demander qui elle était. C’est plutôt Dalida, c’est plutôt… On a même cherché des actrices. Plutôt Madonna, plutôt Sheila… Mais en fait, Josie Harcoeur, c’est Josie Harcoeur. Toute trace d’elle a disparu sur Internet mais elle a clairement existé. On l’a cherchée.
Laure : Mais c’est là que ça devient intéressant ! Ce qu’elle représente, c’est comme toutes ces stars d’une époque qui représentaient énormément de choses. Il suffit d’ouvrir un Paris-Match à l’époque de la mort de Dalida, voir ce que ça représente. Et, quelques années plus tard ça ne représente plus rien. Il y a une éphémérité de ces représentations.

- Par rapport à vos recherches sur Josie Harcœur, vous êtes allés piocher où ?
Cédric : Il y a des bouquins. La variété française, ce n’est pas un domaine qui a inspiré beaucoup de monde. Il y a une mauvaise image mais parce qu’en France, on a un regard sévère sur la culture populaire, des fois à raison. Ce qui a nourri le projet, c’est qu’on s’est rendu compte que quelque chose qui semblait hyper stable dans les années 70, en trente-quarante ans s’est volatilisé, c’est-à-dire que le genre lui-même s’est volatilisé. Ce qui a nourri le projet, ce n’est pas ça, c’est plutôt les émotions qui étaient liées à quelque chose qui est de l’ordre du souvenir et ce que ça impliquait et comment le temps agit, je pense, sur les gens. C’est ça qui tient vraiment le projet. Et, je pense que c’est un peu un paravent, la variété française, puisqu’on aurait pu faire le même spectacle à peu de choses près avec une joueuse de tennis, avec un joueur de foot.
Sahra : Il y a aussi cette notion d’éphémérité, comme disait Laure, de ces stars.
Cédric : Oui c’est vrai, si on prend du recul, toutes les stars qui ont laissé leur empreintes dans nos vies disparaîtront un jour, elles aussi. C’est ce genre de questions qui a guidé le projet. Mais c’est aussi un spectacle ludique qui pose des questions et même si on s’est intéressés à quelque chose de vraiment précis, on aimerait que le spectacle soit universel. Après, la variété française, on l’affectionne à divers degrés dans l’équipe, mais c’est quelque chose à laquelle on a été exposés quand on était petit, c’est de la nostalgie.
- Une nostalgie qui vous amène à explorer le passé sur scène… Comment avez-vous souhaité traiter ce changement de temporalité ? On pense automatiquement au flash-back…
Cédric : Effectivement, j’arrive avec des références cinématographiques. Mes collègues, eux, savent ce qui fonctionne sur le plateau. C’est encore une fois un travail d’équipe : on confronte nos idées, on essaie, et puis on fait confiance au public ! Et puis, on met la date avant chaque scène… (rires)
Sahra : Mais de manière théâtrale !
Laure : On a cherché des réponses dramaturgiques pour justement ne pas simplement plaquer un procédé cinématographique au théâtre. On a voulu l’intégrer dramaturgiquement à la narration.
Cédric : De par les couleurs, la lumières, les costumes, le son…
- Cédric, on vous connaît aussi en tant que photographe, cet œil doit vous aider en ce qui concerne la construction d’une mise en scène.
Cédric : Alors, oui, il y a l’idée de créer des tableaux, mais on essaie de ne pas trop se contraindre avec ça. Au vu des aller-retours qu’on fait, on a besoin de s’ancrer dans les codes. Mais, on y pense, mais pas tout le temps (rires). Il ne faut évidemment pas que ça prenne le pas sur le fait de voir vivre et interagir ses personnages. Et puis la musique joue énormément aussi.
Sahra : On fonctionne quand même pas mal par images. Souvent, enfin, en tout cas tu as des inspirations des images qui te viennent. Et nous, on se retrouve des fois dans le jeu à dire : “ah, attends, je pense à une photo de Cédric Roulliat.”. Et donc on propose aussi des tableaux.
David : C’est vrai qu’on se connaît et c’est intéressant d’amener ce travail en amont dans des codes différents, de faire jouer nos corps différemment…
- Quel est ce rapport que vous avez avec la musique ? Ça semble être assez nostalgique. On a l’impression que vous avez intégré vos souvenirs aussi là-dedans, car, nous aussi, on n’a pas grandi dans les années 70…
Cédric : Ah si… (rires). On venait d’être nés.
Sahra : On était jeunes, ce sont des trucs que j’entendais chez mes parents.
Cédric : Je me suis rendu compte qu’en travaillant avec Laurent, dès que je me connectais à quelque chose que j’avais vraiment écouté enfant, en fait, ça ne fonctionnait pas parce que moi, je ne les ai pas ces références. Moi, gamin, la variété française, je trouvais ça hyper ringard. J’écoutais de la pop britannique ou américaine. Il y a ce rapport-là qu’on a projeté aussi. C’est aussi une fiction en soi, le lien avec la variété française et au départ dans les musiques, je partais dans des références plus anglo-saxonnes et c’était une erreur, enfin, c’est ce qu’on a rectifié après. Enfin, je sais qu’il y a de l’affection pour des figures de chanteuses mais je les ai découvertes bien plus tard.

- Dans le contexte actuel, politique et social, que pensez-vous de l’avenir de la culture, de l’avenir de l’artiste ? Comment vous vous sentez par rapport à cela ?
Laure : C’est ultra violent et ultra compliqué, je trouve, de rester positif sachant le monde vers lequel on est en train d’aller. La culture n’a aucun intérêt et doit être le moins possible présente. Je pense que la culture permet aux êtres humains de s’affranchir, de devenir intelligents, de réfléchir et visiblement, cela n’intéresse pas les gouvernements. Je parle en mon nom bien sûr.
Sahra : Non, non, je partage totalement.
Laure : Ce qui se passe au niveau du cinéma, c’est vraiment grave. C’est très déprimant. On va vers une culture du divertissement qui raconte le moins de choses possibles, où on s’interroge le moins. C’est du pain et des jeux. Notre spectacle, on espère en faire un à la fois ludique, très fort théâtralement et à la fois qui permet de réfléchir. Or, c’est pas ce que veulent la majorité des gouvernements. C’est dramatique. Mais ce n’est pas grave, on trouvera d’autres choses !
Sahra : Je trouve ça vraiment grave aussi, je n’arrive pas à voir de la lumière là-dedans.
- Terminons là dessus : êtes-vous des fans ?
David : J’ai été fan de Mary Pierce, une joueuse de tennis. J’ai fait le lien avec le spectacle. Après, en termes de chanson, c’est vrai que j’écoutais tous ces chanteurs populaires. Je m’en rends compte. On a un regard un peu biaisé et critique là-dessus mais j’assume de plus en plus. C’est quelque chose de l’ordre de la réalisation d’avoir des modèles comme ça à un moment donné. Je ne peux plus dire que je sois fan de Mary Pierce, même s’il y a quelque chose.
Sarah : Tu as un peu des tremblements dans la voix en en parlant quand même !
(rires)
Josie Harcœur de Cédric Roulliat et la Cie de Onze à Trois heures. Avec David Bescond, Sahra Daugreilh, Laure Giappiconi.
Au Théâtre des Célestins du 11 au 21 février 2020 (relâche les lundis).
Propos recueillis par Ambre Bouillot, Candice Grousset et Lucile Sauverzac.