Au vu des travaux précédents de Jul (Silex and the City et 50 Nuances de Grecs) et au titre Coloc of Duty, Génération Greta, on pouvait penser que Jul parodierait le célèbre jeu vidéo Call of Duty qui lui a inspiré ce titre pour évoquer la planète, en transposant l’histoire dans un contexte militaire, mais il n’en est rien ! Il évoque le développement durable à travers le prisme de la colocation en insistant sur les devoirs que nous devrions avoir envers la planète. (Bannière : © Editions Dargaud)
Une sensibilisation au développement durable ludique
La BD écrite en partenariat avec l’AFD (Agence Française pour le Développement) se présente comme un traité de sensibilisation au développement durable et aux dangers qui menacent notre planète. La préface rappelle l’importance de l’AFD et des ODD (Objectifs de Développement Durable) qu’ont signé une grande majorité des pays membres de l’ONU. Les Objectifs de Développement Durable sont des engagements pris par les pays signataires pour améliorer leur bilan carbone et leur lutte contre le réchauffement climatique en prenant des actions pour améliorer les conditions de vie de la planète et de ses habitants. Ces dix-sept objectifs ont tous des pictogrammes assez faciles à identifier et qu’on voit fleurir dans de plus en plus de lieux publics. L’AFD présente chaque objectif sur une page avec des chiffres qui témoignent de la situation actuelle et son évolution au cours des dernières années. Ces présentations ne sont pas alarmantes ni dramatiques, mais dressent un bilan des évolutions positives de ces dernières années tout en indiquant qu’il faudrait faire plus mais surtout en expliquant pourquoi. Tous ces objectifs sont ensuite illustrés par les dessins de Jul mettant en scène quatre colocataires, la Terre, nommée Edmund, Kévin qui se moque du sort de la planète, Sara et Salomé qui veulent se battre pour la protéger. L’idée d’associer des dessins humoristiques aux explications des ODD est plutôt bonne et semble être un bon moyen de sensibiliser nos concitoyens, malheureusement, les créations de Jul ne sont pas toutes à la hauteur du projet.

Un équilibre fragile
En utilisant des petits strips très courts, en trois vignettes maximum, sans décors, ressemblant plus à des dessins de presse qu’à des dessins de Bande Dessinée, Jul fait le bon choix. Cela lui permet de créer de petites situations qui en quelques bulles caricaturent des situations quotidiennes. Seulement, les planches servent plus à illustrer le texte sur l’objectif qu’à raconter une histoire, rendant la cohérence quelque peu artificielle. En utilisant les mêmes personnages, ils créent un univers global qui ne fonctionne pas très bien car manquant de liant. Si on retrouve bien les caractères de chaque personnage, leurs relations ne sont pas assez approfondies pour que l’on s’intéresse un peu plus à eux. En créant l’idée d’une colocation où Kévin serait le je- m’en-foutiste par excellence, il pose le postulat d’une histoire qui se raconte sur l’ensemble de la BD, or il n’en est rien. Ce sont des situations totalement déconnectées les unes des autres, sans qu’aucun personnage ne soit réellement creusé, d’ailleurs le personnage de la Terre est malheureusement très peu exploité. Certaines situations sont vraiment cocasses et cyniques mais cela s’arrête là. Finalement, on pourrait changer de personnages à chaque illustration sans que cela ne pose le moindre problème. Individuellement, les strips fonctionnent, même si certains sont bien meilleurs que d’autres : mais dans l’ensemble, cela reste un peu décevant. En revanche, ce qui est intéressant, c’est que les dessins comme la présentation des objectifs ne sont pas moralisateurs : on nous laisse la liberté de faire notre propre chemin de réflexion avec ce qui nous est donné. Si certains tableaux sont vraiment excellents, fins et cyniques, d’autres manquent de piquant, voire d’imagination provoquant un certain déséquilibre dans la composition de l’album. Certains objectifs ne bénéficient par exemple que d’une saynète, quand d’autres en ont quatre, certaines scènes sont parfois un peu éloignées du sujet de départ et ainsi perdent de leur puissance. Cette inégalité vient du fait que les scènes ont été dessinées l’an dernier au moment du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, avant que naisse le projet de les coupler avec les ODD, dans cette édition de Dargaud, ce qui donne ce côté un peu artificiel à cette composition.

Les textes de présentation des Objectifs de Développement Durable sont vraiment bien construits, expliquent très clairement le but de chaque point et sensibilisent de manière très pédagogique et non moralisatrice aux enjeux climatiques. Jul réussit parfois d’excellentes illustrations, acerbes et lucides sur notre situation, tout en manquant de cohérence globale sinon celle de suivre brièvement des situations arrêtées de personnages aux caractères sans nuance…
Article rédigé par Jérémy Engler.