Mercredi 15 janvier, l’Envolée culturelle est allée voir Olivier Masson doit-il mourir ?, spectacle programmé au Théâtre des Célestins jusqu’au 25 janvier. Le texte écrit par François Hien, mis en scène et joué par lui-même ainsi que par Estelle Clément-Bealem, Kathleen Dol, Arthur Fourcade et Lucile Paysant, s’inspire en partie d’une affaire qui a, comme on dit, défrayé la chronique et provoqué de nombreux débats, l’affaire Vincent Lambert.
Argument
Olivier Masson doit-il mourir ? Avant d’entrer en salle, la question est fermée. « Oui » pensent les un.e.s, « non » pensent les autres. Les deux camps s’opposent radicalement mais en silence, sans même s’en douter, pendant l’entrée en salle. Les acteur.rice.s sont là, au bord du plateau, comme si l’ordre habituel spectacle puis bord de scène allait être inversé, comme si les questions allaient venir avant le silence contemplatif, agacé, ennuyé ou endormi de la salle – tout dépend du spectacle et de celui ou celle qui regarde. Or spectacle et questions se confondent, le titre l’annonçait déjà, la suite le corrobore. Le spectacle est une question qui en déploie une série d’autres. Le procès de la question est ouvert.
Dans les flashbacks qui suivent la première scène, on apprend qu’Olivier Masson est un homme qui a eu un grave accident de moto. Il est considéré, dans le jargon médical, comme un « non-communicant » en état « pauci relationnel ». Alité, mutique, il ne réagit que partiellement à certains stimulis lumineux ou sonores. Alors il est en vie, certes, mais ses lésions sont irrémédiables et au bout de six ans d’hospitalisation, l’équipe médicale et Laurence, sa femme, sont désormais certaines qu’aucune amélioration n’aura lieu. L’arrêt de « l’acharnement thérapeutique » est donc finalement acté, conformément à ce qu’autorise la loi Léonetti. Mais c’était sans compter sur un autre acharnement, celui de la mère d’Olivier, qui ne veut pas laisser partir son fils qu’elle pense encore conscient, encore « là ».

Nous reconnaissons là des éléments de l’affaire Vincent Lambert, ceux qui ont été relayés dans la presse. A partir de ce matériau commun à lui-même comme aux spectateur.rice.s, François Hien élabore une fiction qui peu à peu se détache de ce socle référentiel. Olivier est déjà mort quand la pièce commence, le procès qui s’ouvre est celui d’Avram Leca, un aide-soignant accusé de l’avoir tué en lui faisant une injection léthale. Dans un glissement virtuose, les cinq acteur.rice.s font parler les trente-et-un personnages de cette pièce et adoptent tantôt le discours de l’accusation, tantôt celui de la défense, tantôt celui des différentes personnes appelées, tantôt celui de l’institution judiciaire. En opérant ces mouvements perpétuels et en prenant en charge un discours et son contraire, dans une fluidité qui étonne le.a spectateur.rice et le.a réjouit devant tant de facilité à reconnaître les changements de personnages pourtant si récurrents, l’aspect proprement anti-manichéen de la pièce trouve un écho spatial et corporel. Il s’en trouve renforcé. Laurence, la femme d’Olivier, a raison de libérer son mari d’une vie dont il ne voulait pas, et Bénédicte, sa mère, a raison de voir la vie dans les yeux de son fils, puisque qu’Avram confiera plus tard au prêtre de Bénédicte qu’Olivier communiquait, mais seulement avec lui. Il lui avait demandé de mettre fin à ses jours.

Retour
Au fur et à mesure que les flashbacks reviennent, le mobilier roule, le plateau se vide. Le rideau en fond de scène est tiré, alors le procès en cours et les procès passés cèdent la place à des scènes plus intimes, celles qui se déroulent dans le secret de la chambre d’hôpital. Et nous découvrons alors vraiment Avram, qui tire les rideaux de son mutisme, de son propre état pauci relationnel avec la justice. Dans la chambre d’Olivier, ce n’est pas un homme qui ne cesse de dire « Non » ou « Je ne sais pas », mais un chaman aux mains couvertes de gel hydroalcoolique. Un flot de paroles ininterrompues sort de sa bouche, comme s’il était possédé et qu’Olivier cherchait à parler à travers lui. Laurence peut alors s’en aller et lui dire une dernière fois combien elle l’aime. Bénédicte peut se rendre compte qu’elle s’accroche à une fiction de son fils, à un « ange » qu’elle n’a jamais vraiment considéré comme tel et qu’elle n’avait pas su protéger lorsqu’il en avait vraiment besoin, ce dont elle se sent coupable.
Retour au premier procès. Avram est condamné mais nous sentons que ce n’est pas pour la bonne raison. Son avocate nous avait prévenu.e.s dès le début, il ne dévoilera pas les motifs de son acte. Du moins pas à celles et ceux qui attendent cette révélation. Il ne parle qu’aux personnes qui ne peuvent pas parler et répéter ce qu’il leur a dit, Olivier ou le prêtre de Bénédicte qu’il demande à voir quand il est en prison. C’est à ce dernier qu’il dit la vérité. Olivier était encore là, il utilisait le langage inventé par l’orthophoniste pour parler avec l’aide-soignant, mais s’éteignait brutalement, en particulier quand Laurence entrait dans la pièce, pour qu’un jour elle puisse se libérer et partir. Parce que « parfois le silence est la plus belle preuve d’amour », tout simplement. Olivier et Avram sont mutiques parce qu’ils aiment, Olivier aime Laurence, Avram certainement l’humanité, en fait. Olivier lui a demandé de le tuer, il l’a fait, mais il n’a rien dit pour que ni Laurence ni Bénédicte ne se sentent coupables, l’une d’avoir perdu espoir, l’autre de l’avoir gardé en vain.
Balloté.e.s entre réflexion et émotion, nous frissonnons, pleurons presque, tout en reconsidérant les positions tranchées que nous avions avant d’entrer en salle, et en nous posant toujours plus de questions. Si nous ne changeons pas nécessairement d’avis, nous sommes au moins plus nuancé.e.s, et nous avons appris d’Avram et de son incommensurable empathie. Olivier Masson doit-il mourir ? Nous ne le saurons jamais, tant mieux.
Article rédigé par Alice Boucherie
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