Lazare : ne jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué…

« S’installer devant un feu de bois avec un polar et un verre de whisky ». Voilà le programme du nouveau polar 2019 de Lars Kepler. Pas des moindres. Dans cet écrin orné d’une magnifique vipère émeraude, nous retrouvons l’inspecteur Joona dans une nouvelle épreuve semée d’embuches et de morts qui tombent comme des mouches en Suède, à Paris, dans des bunkers, des églises, des forêts et des lieux tout aussi anxiogènes et incongrus les uns que les autres.

« Comme un Hamlet avec un nouveau dilemme. »

Ce très long polar joue sur de nombreux tableaux et tire des ficelles, des trucs, des astuces qui se révèlent véritablement réussies et fines. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu tous les polars de Lars Kepler pour comprendre le véritable enjeu de ce thriller articulant des personnages touchants : vérifier toujours deux fois avant d’avoir abattu un maître-chanteur. Comme Lazare sortant de son tombeau, l’ombre de l’ennemi joue cartes sur tables pour mettre à mal les nerfs de Joona et les vôtres par la même occasion. Au programme : imbroglio, rebondissements, coups d’avance, provocations, transgression, objets contondants à souhait, pièges, bar underground, cadavres, fûts, carrière abandonnée, morts déchirantes et à crédit, revanches, scènes de sexe, crudité et cruauté et complexification de l’intrigue. Lars Kepler cultive ainsi les codes du roman noir dans ces lieux tantôt urbains, tantôt naturels dans lesquels Éros et Thanatos se livrent un combat sans fin. N’attendez pas de raffinement, de ménagements, d’élégance. Vous tombez directement dans l’hémoglobine et la chair. Or, avec du style. De quoi vous tenir en haleine du début jusqu’à la fin à travers ces dédales et ces tricots constellés d’horreur…

© Actes Sud – Actes Noirs

« On ne peut pas déplacer un pion sans laisser un trou. »

Apprécions le travail ingénieux de la boxeuse Saga qui célèbre sensibilité, gant de fer dans une main de velours, crochets et dilemme pernicieux. Saga est la représentation d’une battante qui dévoile au même moment une loyauté infinie et un amour rayonnant pour sa demi-sœur, Pellerina. Sinon, aucun manichéisme dans la caractérisation des personnages. Le Bien et le Mal sont suspendus au gré des envies de ce Lazare devenu Dieu. Les plus doux peuvent être conduits au pire et les insidieux sèment le doute dans la tête des personnages, et, même, dans la tête du lecteur. Lars Kepler ménage en des chapitres très courts et un style haletant des moments intimes, parfois triviaux, toujours à propos, d’autres fois des événements cruciaux, traumatiques, au point où vous laissez tomber le livre en pestant contre la tuile fatidique du Mahjong qui vous bloque votre jeu de pistes et le cheminement de votre pensée. Et, à ce moment-là, vous ne pouvez que sourire face au défi et au gant que vous devez relever à nouveau. Abattre ses cartes, ce n’est pas tout. C’est assez démoralisant de tout recommencer son château de cartes.
Lars Kepler l’a bien compris. Vous aussi. Le moment où l’attente est à son comble, ce moment où vous attendez enfin l’arrêt de mort définitif, Lars Kepler vous l’arrache comme un Dieu invisible à l’image de ce Lazare qui a renversé Dieu et qui défie la Raison et l’ordre établi par Joona, cette barrière entre la santé et l’insanité, la faute et l’instinct de survie. La vie disparaît si vite dans un noir cinématographique. Et, tel un plateau d’échecs ou de dames que vous renversez de rage après avoir perdu la partie, parce que vous êtes sans aucun doute mauvais joueur, ces portraits de gens aux parts d’ombres et de lumières défilent dans ce musée serpentin. En revanche, beaucoup d’entre eux ne font que passer : vous avez leur nom, vous connaissez brièvement leur vie, et, quelques pages plus loin, vous ne les verrez plus. Ils disparaissent avec une telle violence et un tel naturel que cela vous flanque des maux d’estomac. On sort rapidement le linceul car l’anonyme, cette personne à vos yeux sympathique, n’appartient plus à l’univers de papier. En un clin d’œil. C’est révoltant. Fulgurant même.

Pour un puzzle morbide et un cadeau empoisonné

Ainsi, dans ce jeu de dames, si vous déplacez un pion, vous laisserez un trou. Vous êtes face ni à un miracle, ni à un quelconque acte de gratuité et de bonté. Lorsque vous jouez contre un démon trop humain, vous faites des concessions, des sacrifices, des dons et contre-dons, des remises en question de vos valeurs et de vos croyances. Le polar de Lars Kepler exploite cette palette nuancée de gris, de noirs, et, souvent, de couleurs pour mieux explorer la complexité des situations, des émotions, des représentations, qui, à nos yeux, sont monstrueuses, biaisées, insoutenables. Or, ne serait-ce pas le jeu du romancier de polar ? Nous déboussoler, nous renverser, nous précipiter dans les abysses de l’horreur dans un monde qui n’a plus de loi, de limites ou de foi… ? Malheureux sont les débonnaires. Heureux sont les avertis du venin de la vipère !

Article rédigé par Pauline Khalifa (Lika)

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