Revenons une année en arrière, pour la rentrée littéraire 2018. Mona Chollet, journaliste au Monde diplomatique, publie aux éditions La Découverte un nouvel ouvrage : Sorcières. La puissance invaincue des femmes. Retour sur un livre-combat plus que jamais d’actualité. (bannière : © Éditions La Découverte)
Abracadabra ! Le mythe de la sorcière
Mona Chollet débute son essai avec un chapitre qui contextualise le sujet. Nous devons retenir que cinquante à cent mille personnes ont été exécutées pour sorcellerie en Europe entre le XVIe et le XVIIe siècle. La plupart des condamné.e.s étant des femmes. Elles pouvaient être des guérisseuses ou être des femmes autonomes et puissantes qui s’affirmaient trop pour les mentalités de l’époque. Mona Chollet insiste sur le fait qu’elles étaient accusées sans fondement, l’objectif étant de les faire disparaître car elles dérangeaient : une épouse encombrante ou une victime de viol qui oserait parler et ainsi salir une réputation. Même une « tâche, cicatrice ou irrégularité », pour citer les propos de la journaliste, pouvaient montrer une évidente pratique de la sorcellerie. Être une femme était en réalité une preuve suffisante. La journaliste nous explique que le fantasme actuel autour de la figure de la sorcière a complètement occulté la réalité historique, qui ressemble davantage aux films de Carpenter qu’à Charmed.
Mais abstenez-vous de croire que l’essai de Mona Chollet est un récit historique. C’est plutôt un livre d’empowerment, un grimoire féministe qui s’adresse évidemment à tou.te.s mais surtout aux femmes, les invitant à embrasser la sorcellerie, maintenant synonyme d’indépendance. L’autrice a choisi pour épigraphe une citation du manifeste du mouvement féministe WITCH (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell) créé à New-York en 1968. Le voici : « Inutile d’adhérer à WITCH. Si vous êtes une femme et que vous osez regarder à l’intérieur de vous-même, alors vous êtes une sorcière. »
Dans cet ouvrage, elle s’intéresse aux héritières de ces sorcières d’autrefois. Elle dresse trois profils : la femme indépendante, la femme sans enfant puis la femme âgée et s’attèle à décrypter les conséquences de la chasse aux sorcières sur nos comportements. Pour cela, la journaliste convoque de nombreux écrits féministes, adopte un ton humoristique jamais loin du cynisme et fait de nombreuses références à la pop culture (Hermione dans Harry Potter, Charmed, Blanche-Neige…).

Tremblez : les sorcières sont parmi vous
Quel portrait édifiez-vous d’une sorcière ? Pour la plupart des gens, celui d’une femme indépendante, sans enfants et âgée. Ce sont ces trois aspects que la journaliste a choisi de décortiquer dans son essai.
Le premier portrait est celui de la femme indépendante, souvent célibataire. Ce sont là des sorcières dangereuses puisqu’insubordonnées au pouvoir masculin et qui se démarquent de l’ordre social établi. La norme est depuis bien longtemps celle d’une femme mariée ou en tout cas en couple. Comme l’indique Mona Chollet, qui n’a jamais entendu « tu vas finir seule avec des chats » (l’animal préféré des sorcières, précisons-le) ? Cela sous-entend qu’une femme sans amant n’est vouée qu’à devenir une vieille fille pathétique et triste. La journaliste nous invite à croire l’inverse : « La sorcière est une femme qui tient debout toute seule ». Mona Chollet sait révéler en nous la volonté de se tenir debout et de cultiver l’autonomie.
Quid d’une femme indépendante, célibataire et sans enfants ? La journaliste se questionne sur les raisons pour lesquelles le non-désir d’enfant suscite autant le mépris de nos jours. C’est étrange de la part d’une femme, surtout si elle est en couple, de ne pas vouloir d’enfant. Mona Chollet dit avoir subi (comme toutes les femmes, car elle estime qu’aucune n’y échappe) le jugement culpabilisant des autres, qui venait parfois de sa propre famille. Elle convoque de nombreux exemples de femmes qui ont choisi de ne pas avoir d’enfants : Simone de Beauvoir, Virginia Woolf, et l’autrice elle-même. Pour établir son propos, elle met en lien des témoignages de femmes qui regrettent d’être devenues mères jugeant que les enfants sont une entrave à leur liberté ; mais aussi des témoignages de mère qui sont épanouies dans ce rôle-là. Ce qu’elle souhaite transmettre, c’est la force du choix. Nous pouvons toutes êtres heureuses de différentes façons, avec ou sans enfants, tant que cela résulte d’un choix personnel et avisé. Mais reste l’image d’une femme qui ne peut être pleinement épanouie qu’en étant mère et celle de la femme malheureuse, pas « entière », car elle a fait le choix de ne pas enfanter. Elles sont toutes des sorcières modernes gouvernées par leurs choix.
Pourquoi une femme aux cheveux grisonnants doit-elle à tout prix les camoufler quant à l’inverse des cheveux « poivre et sel » sont motif de séduction chez les hommes ? « On se pâme devant le beau visage tanné de Clint Eastwood » résume Mona Chollet. Car assumer ses cheveux blancs, généralement signe d’un âge avancé, c’est une forme de rébellion contre l’idée reçue d’un corps féminin qui devient laid à mesure qu’il prend de l’âge.
Ce sont ces trois incarnations de la féminité que Mona Chollet interroge dans Sorcières. L’ouvrage se lit très facilement, les 240 pages ne doivent pas être un obstacle. Nous n’avons fait qu’évoquer les grands axes, il est temps de vous lancer dans l’aventure.
La conclusion étant que la société peine à voir la femme comme un être indépendant et accompli, mais que les femmes ne se sont pas laissées faire. La « puissance des femmes » est toujours « invaincue », Sorcières est un manifeste à poursuivre le combat et à faire de cette qualification une qualité.
Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, éditions La Découverte, 13 septembre 2019, 240 pages.
Article rédigé par Candice Grousset